Entretien avec Suzanne Arhex
Quel est le point départ de ton livre ?
J’ai été étudiante Erasmus à Reykjavik. Depuis, je suis régulièrement retournée en Islande pour voyager ou pour des résidences artistiques. Par ces voyages, j’ai écrit et dessiné deux premières sortes de fables, dont le lien est notre relation à l’eau. La première raconte les gestes quotidiens d'une femme de pêcheur dont le mari noyé revient sous la forme d'une vague qui inonde la cabane. Dans la seconde, un enfant collectionne des cailloux piochés près d’un lac où il n’a pas le droit d’aller, parce qu’habité par un monstre – c’est une vraie croyance à l’Est du pays.
Saga, c’est le dernier volet de cette "trilogie de l’eau". En retournant à l’Est en 2019, je savais que je voulais parler d’un·e enfant qui croit voir une baleine échouée dans un bout d’iceberg. Le reste, c’est venu en traînant dans le fjord et l’usine de filets de pêche du village.
Qui est Saga ? Est-ce que une petite fille que tu as vraiment rencontré ?
Saga n’existe pas vraiment, mais ses habits, si. « Saga », ça veut dire « histoire » en islandais. Elle est le prétexte à une narration. Elle raconte un tas de choses qui ne sont pas vraiment vraies, on ne sait pas trop où commence le mensonge mais ce n’est pas si important. Elle traine et contemple, elle accueille la personne qui voyage, et la personne qui va lire, tout en vaquant à ses occupations. Elle guette l’horizon à la recherche des baleines dont on lui a tant parlé mais qu’elle n’a jamais vues, dont on ne sait même plus si elles existent vraiment. Pour Saga, la baleine est quasiment un animal fantastique, comme une licorne.
Est-ce que c’était important pour toi d'évoquer le réchauffement climatique à travers le récit de Saga ?
Je sais que c’est un sujet omniprésent pour tous, parce que l’Islande fait partie de ces lieux où le changement est déjà visible d’année en année, par la fonte des glaciers qui s’accélère, la neige qui disparait trop tôt des montagnes, l’agriculture qui évolue, la disparition de certaines espèces animales. Ce n’est ni abstrait, ni lointain, c’est un sujet, et pour certains une lutte de chaque instant. Le film Woman at war de Benedikt Erlingsson raconte bien cela. C’est une île qui est constamment confrontée à l’incompatibilité entre certaines coutumes ou activités économiques nuisibles pour l'environnement et questionnements écologiques. La chasse à la baleine, par exemple, fait partie de ces sujets qui déchirent le pays.
Moi je voulais parler de l’eau, de la pêche, de cette île, et ça ne pouvait pas aller sans considérer ce sujet je crois, même si le point de départ de mon histoire, c’est vraiment une errance sur un port.
Est-ce que tu en as vu, toi, des baleines ?
Des baleines, je n’en ai pas vu. Et tu sais j’ai cherché ! Au prochain voyage, si elles veulent bien, peut-être ?
Une histoire que Saga m’a racontée
Suzanne Arhex
« T’es qui toi ? Moi, je suis Saga. Je traîne sur le port. Parfois je fais de la musique pour les phoques, ça les fait venir. Arrête de rire ! C’est vrai ! »