Entretien avec Gaëtan Dorémus
Tu as déjà exploré plusieurs fois l’album sans texte, on peut citer notamment tes histoires sans paroles rééditées récemment par Cambourakis (Western et Chagrin d’ours). Qu’est-ce qui t’intéresse avec ce système narratif ?
L'album c'est la combinaison parfois magique de textes et d'images. Que se passe-t-il quand on enlève le verbe ? L'image doit faire tout le boulot, notamment raconter les notions de temps. Mais cela vaut le coup : ces livres sont alors accessibles à des lecteurices qui ne savent pas lire du tout, pas encore bien lire, ou pas lire le français. J'ai l'impression que les lecteurices peuvent s'emparer plus facilement de l'histoire pour se la raconter avec leurs mots propres. Avec un livre comme Tom Poulpe, j'offre aussi une place active à l'adulte qui accompagne l'enfant dans sa découverte, puisqu'il peut inventer sa manière de lire et en changer à chaque fois.
croquis de recherche
Comment est-ce que tu crées un album sans texte ?
Je travaille de la même manière que d'habitude : je tâtonne en écrivant et dessinant dans des carnets. À un moment donné j'écris l'histoire ou la dessine à la taille de timbres-postes, les numérote, essaye d'autres enchainements de vignettes et petit à petit j'aboutis à un récit sommairement mis en scène. Et ainsi de suite : à chaque étape je précise les intentions des personnages, de narration et j'agrandis le format sur lequel je travaille jusqu'à arriver à l'étape finale où je vais dessiner à l'échelle une. Lorsque je dessine les "vraies" images je peux alors me concentrer uniquement sur les émotions que je vais appuyer et me focaliser sur ma manière de dessiner, de distribuer les lumières et les couleurs.
croquis de recherche
Après Zarra accueillie par un village de pêcheurs, voici Tom devenu Poulpe ! Est-ce que la mer est un de tes thèmes de prédilection ?
C'est plutôt un hasard. Je nage comme une patate et habite loin de la mer. Mais j'apprécie les baignades en rivière et dans l'océan (quand l'eau n'est trop froide). En fait cette histoire se passait sur terre dans ses premières versions : un enfant, un loup, une forêt, des terriers, tout ça le temps d'une nuit. Une histoire d'amitié et de peur, de lumières et de sombre. Et puis j'ai pu découvrir d'excellents "livres de forêt", un genre en soi, et me suis dit que j'allais dépayser mon histoire ailleurs. Et donc sous l'eau. Un tout petit être dans une immensité inconnue.
synopsis et maquette
Tom semble jouer seul au tout début de l’album, est-ce que son échappée dans les profondeurs représente le pouvoir de l’imagination, qui permet de s’évader, de fuir la réalité mais aussi de se construire, de trouver sa place ?
C'est ça. L'imagination c'est de l'escapologie* gratos ! Que son aventure soit fantasmée, peu importe, les émotions que Tom éprouve sont réelles : la découverte, la socialisation, l'angoisse, mais aussi la douceur, le réconfort, l'amitié, etc. En fait le personnage clef est cette sorte de mérou qui nous apparait au début menaçant, parce qu'il veut protéger ses petits, puis aidant et accueillant puisqu'il délivre Tom d'une situation périlleuse. Cette aventure le transforme (et transforme aussi d'autres personnages du livre). En fait je ne veux pas trop dire mes intentions, parce que justement les livres tout en images sont par essence très ouverts.
* L'escapologie est en magie l'art de l'évasion.
Tom Poulpe
Gaëtan Dorémus
Sur la plage, alors qu’il poursuit un crabe dans un trou d’eau, Tom se retrouve plongé sous la mer et transformé en poulpe… À travers une histoire entièrement portée par l’image où explosent les couleurs et fourmillent les détails, le petit lecteur suit les aventures sous-marines de Tom-devenu-poulpe.