Entretien avec Pierre Alexis


Comment est venue l’idée de ce livre ?

J’ai commencé par dessiner des animaux dans un bus. Chaque personnage évoluait dans l’espace selon les caractéristiques corporelles de son espèce. Puis, des interactions sont nées de la cohabitation entre les protagonistes. Le bus à impériale est une Arche de Noé dans laquelle la diversité du monde peut prendre place. En réalité, tout a probablement débuté il y a 36 ans, lorsque l’on m’a lu Dame Grenouille, la magnifique histoire de Bénédicte Laferté (Les belles histoires de Pomme d’Api, 1986). Dans Règlobus aussi, un batracien pilote le véhicule à bord duquel montent divers passagers. Cependant, ma conductrice coassante fait prendre au voyage une toute autre direction.

Pourquoi une histoire avec des animaux, mais dans un environnement urbain et structuré par des règles ?

Je tente de manière décalée et humoristique d’interroger ces représentations. À Bruxelles, la ville dans laquelle je vis, réside une faune sauvage riche (écureuils, renards, chauves-souris, fouines, chevreuils, sangliers, perruches, faucons pèlerins, lucanes cerf volant, libellules, sauterelles…). Pour moi, les personnages du bestiaire de mon album jouent à être humains. Si la forêt des contes traditionnels est le lieu de toutes les menaces, la ville et ses infrastructures, souvent considérées comme exclusivement humaines, pourraient occuper cette place dans l’imaginaire des animaux non-humains. En opposant des lois constitutives de notre humanité, aux « bêtises » des « bêtes »* de mes images, je défie encore la logique. Le petit côté absurde ou parodique issu de ces jeux d’inversions m’amuse.

Règlobus parle aussi de ma manière d’écrire. Au début d’un nouveau projet, j’éprouve de grandes difficultés à me fixer des contraintes. Elles s’imposent souvent d’elles-mêmes au cours de mes recherches. Une fois présentes, je n’ai plus qu’une envie : les transgresser.

* J’utilise des guillemets, car je n’aime pas beaucoup ces mots qui connotent trop la stupidité.

Quelle technique as-tu utilisé ?

J’ai utilisé de la peinture acrylique et des crayons de couleur. Par transparence, l’acrylique laisse apparaître les flous photographiques et les plans de bus sur lesquels j’ai dessiné. Ces plans m’ont été offerts par un employé des transports de la ville de Bruxelles, qui les renouvelait à mon arrêt. Si vous voyagez dans Bruxelles, ne vous fiez surtout pas aux horaires que vous lisez sous mes couches de peinture.

Quelles ont été tes inspirations pour les physionomies particulières des animaux, à la fois réalistes et fantaisies ?

La diversité foisonnante offerte par le vivant m’influence autant que les pantomimes du cinéma burlesque et des cartoons (Chaplin, Keaton, Tati, Tex Avery, pour ne citer qu’eux). En tant qu’auteur-illustrateur et vétérinaire, je m’intéresse à l’énonciation animale en littérature et aux connaissances en éthologie. Dans mon laboratoire, j'hybride ce qui est souvent considéré comme antagonistes. Avec ces personnages placés à la croisée entre animaux réels et figures symboliques, j’espère laisser les possibilités d’interprétation ouvertes.


Règlobus
Pierre Alexis

Embarquez pour une virée complètement loufoque à bord du Règlobus !