Entretien avec Gaëtan Dorémus


Quel est le point départ de ce livre ?

Je voulais faire une feel-good story, l'histoire de quelqu'un qui se reconstruit, un peu comme dans certains films d'Aki Kaurismaki (en particulier L'homme sans passé). L'immigration, la précarité sont présentes dans cette histoire, comme dans nos vies humaines, mais tout autant que la solidarité, la bêtise, le travail ouvrier, voire le crush amoureux... En tout cas je ne voulais pas faire un livre-à-thème. Ça ne parle pas de migrations. Rester à la hauteur de mes personnages, qui vivent, malgré tout.

Comment s'est passé le processus de création de ce livre ?

Je suis plus un illustrateur qui raconte qu'un écrivain. Je griffonne des images de la taille de timbres-poste avec trois mots en dessous et au fur et à mesure des versions de travail les images gagnent en format, en détails et en précision, les personnages gagnent en caractère, puis les mots deviennent des phrases, du récitatif, des dialogues, le rythme vient. C'est mon éditrice, Béatrice Vincent, qui m'a incité à écrire bien plus que d'habitude. Elle a eu bien raison : j'ai adoré ça ! Assez souvent mes maquettes d'album sont bavardes et j'écrème le texte dans un second temps. Ici j'ai fait l'inverse : j'ai développé et même travaillé un temps le texte séparément, cette histoire devait être lisible sans l'apport de mes images. Alors le texte était plus précis et cela m'a amené à imaginer l'histoire pendant un long moment en noir et blanc : la dimension sensible que peut amener la couleur était supportée par le texte. En fin de processus j'ai tout de même teinté plus que colorisé mes images faites au crayon gris et à la gomme, pour ajouter un peu de douceur.

Où se passe le récit ?
J'imagine ce village au sud d'une grande île du Sud de l'Europe. Mais le contexte de mon histoire n'est pas réaliste : c'est une fable animalière peuplée de chats, de panthères, de koala, de poissons géants, de tablettes numériques (et de chauve-souris). Cela pourrait tout autant se dérouler au sud de l'Italie, de l'Espagne ou en Louisiane, partout où il y a de l'eau …

Justement, pourquoi encore des animaux anthropomorphisés ?
L'utilisation d'animaux me permet un décalage immédiat : mon lecteur sait qu'il entre dans un territoire de fiction, qui peut être proche du réel mais qui ne s'y confond pas. Cela permet instinctivement les analogies. Bêtement cela dit aussi au jeune lecteur : ce livre est pour toi. Cela me donne des cartes supplémentaires pour raconter : choix des animaux, détails physiques, corpulences, tailles etc... cela les caractérise sans explications laborieuses. Enfin cela m'offre plus de liberté dans le dessin.

Peux-tu nous parler de l'amitié entre Zarra et Wendi ?

C'est le cœur du livre. La complicité voire l'amitié entre adulte et enfant me bouleverse toujours. Cette amitié permet à Zarra de se reconstruire après son amnésie et fait grandir Wendi. Elles se découvrent, se font confiance peu à peu, se confient, s'entraident et s'ouvrent à d'autres. Tous les personnages éprouvent des sentiments absolument sincères, sans aucun calcul ni second degré.

On ne saura jamais d'où vient Zarra. Est-ce que toi tu as imaginé son passé ?

J'ai imaginé son passé, mais j'ai préféré l'évoquer par une image plutôt que d'en parler. C'est un trou dans le récit, une irrésolution, cela laisse une place au lecteur. Cependant par cette image de Zarra armée entourée de mercenaires, je laisse entendre un passé chargé, peut être violent, une autre Zarra. Elle renonce à savoir, elle est quelqu'un d'autre désormais.


Zarra vient de la mer
Gaëtan Dorémus

Un roman illustré qui explore avec délicatesse et humour des thèmes graves comme l’immigration, la précarité mais aussi pleins d’espoirs : la solidarité, l’amitié et la possibilité d’une seconde chance.