Entretien avec Giacomo Nanni

Qui est ce miroir (presque) aveugle et que représente-t-il ?
J’aurais préféré que le miroir (presque) aveugle vous réponde directement, mais après la fin du livre, il n’était déjà plus là. Pourtant, je sais que le miroir va beaucoup mieux après tout ce qui s’est passé, car l’histoire s’est très bien terminée, et il est content. Il a dû choisir un endroit qui lui convient vraiment bien. Il a son propre réseau : des lions noirs et blancs, trois sœurs jumelles dont l’une ne sait pas chanter, une ampoule insomniaque et des girafes. Je pense qu’il s’est retrouvé avec eux. J’ai contacté par télégramme son ancien propriétaire, l’explorateur, mais il n’a pas bien compris votre question et a simplement répondu : « Un miroir ne représente rien d’autre que ce qu’il reflète STOP ». Si j’ai d’autres nouvelles, je vous tiendrai au courant ! Voilà.

Que se passe-t-il si je donne la parole à un miroir (presque) aveugle ? C’est la question que je me suis posée. C’est un prétexte pour inventer une histoire et c’est aussi un jeu littéraire qui interroge l’attention et l’interprétation du lecteur. Peut-être que le miroir représente une conscience dysfonctionnelle, aveuglée par le poids des expériences vécues, parfois agréables, parfois pénibles, qui produisent des habitudes et des préjugés devenant de plus en plus encombrants avec l’avancée de l’âge. L’idée c’est que nos expériences s’accumulent sur notre esprit, comme de la poussière sur un miroir, influençant notre vécu actuel et futur. Mais ce récit n’est pas la vulgarisation d’une théorie. Il n’est pas crucial de comprendre que le miroir aveugle est la métaphore d’un esprit affaibli par ses expériences. Sinon, je l’aurais écrit directement dans le récit ! L’interprétation reste ouverte.

Comment comprendre le récit fantasque et surréaliste du miroir ?
Il faut de l’imagination. Il faut comprendre que les miroirs voient littéralement tout à l’envers, transformant les erreurs en exactitudes, le beau en laid, le compliqué en simple, etc. Ajoutez à cela que dans le récit, le miroir est « vivant » et qu'il est presque aveugle au moment des faits, et la machine est lancée. Le miroir se trompe avec exactitude. Pour revenir à la métaphore de la conscience : notre perception des phénomènes est limitée et trompeuse, elle dépend d’un corps physique limité qui n’a pas accès à une réalité soi-disant objective, indépendamment de nos expériences passées. D’ailleurs, la conscience est libre d’imaginer, il n’y a pas de limites ! Et alors, les manchots sont des prédateurs, un gramophone contient une chanteuse et son assistant, qui écoutent à leur tour de la musique au gramophone, les carrelages sont des plafonds, et enfin : les miroirs nous racontent des histoires.

Peux-tu nous parler de ta technique ?
J’aime travailler avec les trois couleurs primaires, le cyan, le magenta et le jaune, car ce sont les encres habituellement utilisées par les imprimeurs. Rien d’absolument contraignant. Si les imprimeurs venaient à changer leurs encres, je changerais mes couleurs, mais je ne pense pas qu’ils le feront, car une infinité de nuances peut déjà être obtenue par le mélange de ces trois couleurs. Pour moi, c’est suffisant. À l’école d’art, j’ai eu la chance d’avoir un enseignant qui nous a fait étudier Art de la couleur de Johannes Itten. C’est un très beau livre. À l’époque, je n’avais pas vraiment compris. La perception d’une couleur est strictement liée aux couleurs qui l’entourent. C’est une belle découverte lorsqu’on commence à la pratiquer. Pour ce livre, j’ai travaillé à l’ordinateur, à la tablette graphique.


Le miroir aveugle
Giacomo Nanni

Des lions noir et blanc en Antarctique, un gramophone pour se protéger des bêtes sauvages et habitée par trois sœurs... Un miroir presqu'aveugle remonte le fil de ses souvenirs à travers un récit décalé, drôle et joyeusement surréaliste.